Déconfiner sans « stériliser » nos liens, voire se sentir coupable

Invasion d’injonctions paradoxales

Tous les professionnels, dirigeants et salariés depuis quelques jours organisent et préparent le déconfinement en s’appliquant à respecter les règles sanitaires dictées par le gouvernement, pour remplir au mieux le devoir de protection et de sécurité des personnes, dans un contexte où l’état d’urgence, qui vient d’être reconduit.

Comment obéir à ce principe de précaution, sans nuire à la qualité des relations humaines, à la qualité du travail, à la poursuite des objectifs pédagogiques, éducatifs, stratégiques ?

Avec l’arrivée de ce virus, nous sommes inondés collectivement et simultanément par des injonctions paradoxales, tant à titre professionnel que personnel. En voici quelques illustrations concrètes : Restez chez vous/Retournez travailler ; Le virus est très contagieux/les masques n’étaient pas nécessaires ; soyons solidaires/isolons nous…

Le paradoxe de la demande est que l’on ne peut pas obéir sans désobéir. Ce qui peut engendrer, un sentiment d’incompétence, d’inutilité, voire de culpabilité. En fonction des personnes, ces situations peuvent fragiliser la confiance et l’estime de soi, pouvant conduire à une impasse ou à un échec.

Pour rappel, l’école Palo Alto (courant de pensée en psycho-sociologie) décrit les injonctions paradoxales ou contradictoires, comme des consignes, qui impliquent en filigrane, une sanction si elles ne sont pas respectées.

Le risque est de concentrer l’activité des personnes, sur des sujets périphériques, du cœur de leurs fonctions, qui amènent des conflits, des désaccords, autour de questions pratiques sur les moyens mis à disposition ou non.

Comment se prémunir ou sortir des injonctions paradoxales ?

L’une des conséquences de ces injonctions contradictoires, s’illustre par des procédures non applicables, pouvant conduire à ne pas reprendre le travail. L’autre effet est de dégrader l’estime de soi et de renforcer le sentiment de culpabilité des personnes qui reprennent le travail, car elles se trouvent face à une forme de « harcèlement contractuel » (cf Marie Pezé) : Celui de devoir respecter des procédures non conciliables avec la réalité de l’activité.

Le corollaire est de voir apparaître des tensions ou des conflits entre collègues et collaborateurs face à l’organisation du travail déstabilisant de facto, les équilibres nécessaires à la bonne réalisation des missions.

La première étape pour sortir de ces situations, est bien sûr de dénoncer le paradoxe puis de pointer les raisons de la complexité d’appliquer toutes les règles. Il est nécessaire d’entendre et d’accepter ce constat, afin d’inviter le débat à un autre endroit, celui du cœur de l’activité. Ces actions permettent de redonner le juste sens au travail et d’apaiser le niveau de culpabilité. Ceci revient à changer de niveaux logiques et de niveaux de sens.

Faut-il rappeler que le travail est aussi une façon de se construire individuellement et collectivement ?

Christophe Dejours et Marie Pezé, spécialistes de la souffrance au travail, nous expliquent depuis plusieurs années, les effets néfastes sur la santé, d’activités de plus en plus règlementaires et cadencées qui « appauvrissent » le sens même du travail. Autant, il faut améliorer la sécurité et prévenir les risques, sans confondre la promesse que fait le travail ; celui d’une opportunité d’accomplissement individuel et collectif. Dans ce contexte singulier et sans précédent de pandémie, le travail doit être un outil pacificateur pour le collectif. Le niveau de « souffrance » que chaque personne au travail est prête à accepter, c’est l’effort qu’elle produit pour parvenir au plaisir de réussir, tout simplement, de bien faire son travail.

Or, on le sait, ce qui fait la réussite du travail, c’est-à-dire la satisfaction de la mission bien accomplie, c’est le travail réel, ce qui échappe aux procédures.

Il est essentiel de se soucier de l’objet du travail et de le mettre en discussion avec l’ensemble des collaborateurs, avant de réfléchir à la mise en application des règles et procédures qui le régisse.

Nous savons que le travail n’est pas neutre, il nous permet de nous accroitre, de nous épanouir, ou bien il peut nous détruire. Travailler c’est impliquer autrui et dans ce contexte encore plus. La perspective que les marges de manœuvres se réduisent encore pour exercer correctement ces missions renforce en effet, le risque de peur, de culpabilité voire de perte de confiance en soi et en ses compétences.

C’est pourquoi dans cette période complexe, il s’agit d’écouter les salariés sur comment ils vivent la réalité de leur travail dans tous ces changements et ce qu’ils peuvent en faire pour reprendre la main sur leur façon d’accomplir leurs missions.

Ce temps passé à bien le faire en se concentrant sur ce qui nous réunit est du temps gagné pour éviter une vague de situations complexes de syndromes de souffrance au travail. Il faut garder à l’esprit, qu’il s’agit d’un investissement humain plus qu’un coût. J’espère que cette situation sidérante permettra à chacun de donner les priorités à ce qui a véritablement de la valeur.

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